Aujourd’hui, sur le carreau des producteurs de Rungis, le nom de la famille Vassout a été remplacé par la marque « Vassout Fruits ». Un label de qualité pour ces poires Comice et ces pommes, produites en Yvelines et en Essonne, qui comptent parmi les meilleures de l’Île-de-France.
INTERVIEW DE JEAN VASSOUT
Les origines de la famille Vassout se situent à Romainville et remontent à l’an 700 où le nom est cité dans le testament de Dame Ermenthrude. Cette famille de viticulteurs fut une des plus importantes de Romainville et au XVIIIè siècle elle compte 150 personnes, soit 27% des habitants de Romainville. Rien d’étonnant donc que la famille ait donné son nom à une rue et un lieu-dit, le « trou Vassout », où paraît-il, on jetait autrefois les animaux morts.
L’histoire de la famille Vassout est une véritable saga. Elle est aujourd’hui encore totalement inscrite dans cette tradition montreuillloise de recherche insatiable du beau fruit. En 2004, âgé de 78 ans, Jean Vassout nous raconte son enfance à Montreuil, le départ pour Gambais et la recherche acharnée de son père et de lui-même pour l’innovation agricole.
Les Vassout furent bien sûr présents au sein du Bureau de la société d’horticulture et du syndicat des cultivateurs de la Seine où ils ont contribué au développement de l’horticulture montreuilloise sous l’impulsion de Léon Loiseau.
Léopold Vassout, le grand oncle de Jean Vassout, fut trésorier-adjoint de la société d’horticulture de Montreuil de 1894 à 1922. Il fut aussi le trésorier du syndicat des cultivateurs de la Seine, présidé par M. Désiré Vitry, de 1891 à 1904. Le 19 février 1905 il succèdera à Mr Vitry comme président du syndicat des cultivateurs de la Seine jusqu’au 10 mars 1910. Il fut aussi maire-adjoint de Montreuil en 1904 sous la municipalité de Léon Loiseau. Voici l’histoire d’une des plus grandes familles de cultivateurs de Montreuil. Une histoire exceptionnelle de longévité car aujourd’hui c’est Fabien Vassout, 30 ans, qui reprend peu à peu le destin de l’exploitation de 35 hectares sous le regard de son père Roger Vassout et de son grand oncle Jean Vassout.
La naissance à Montreuil
Jean Vassout, est né le 27 septembre 1926 à Montreuil au 6 de la rue Franklin. La maison n’existe plus, remplacée par une résidence, juste à côté du plombier Grégoire. Il est le quatrième enfant de Charles et Jeanne Vassout. C’est le 14 janvier 1914 que son père se marie avec Jeanne Fischer, la jolie fille d’un cafetier de Romainville. “A cette époque mon père habitait encore à rue Baudin à Romainville. Il allait au café du coin boire une limonade et puis voilà… pourtant ma mère s’était juré qu’elle n’épouserait jamais un client du café”. Six mois après leur mariage le 2 août 1914, Charles Vassout est mobilisé. Le premier enfant du jeune couple, Roger, naît pendant la guerre mais hélas son père ne le verra qu’une seule fois lors d’une permission en 1915 puis il sera fait prisonnier en 1916. Seules les photos prises à cette occasion gardent le souvenir du petit frère disparu à 3 ans en 1917 de la grippe espagnole. Le second fils, Louis, naîtra en 1920 puis ce sera Geneviève en 1923, Jean en 1926 et Gérard, le petit dernier, en 1934.
Les grands parents
Les enfants de Charles Vassout n’ont pas connu leur grand-père, Edouard-Eugène Vassout (1860-1899), car il est mort alors que ses deux fils n’avait que respectivement que 12 et 9 ans. Edouard-Eugène Vassout était arboriculteur et à sa mort, c’est sa femme, Joséphine Vassout, née Capet (1863- 1933), qui reprit en main l’exploitation avec ses deux jeunes fils : Louis né en 1888 et Charles né en 1890.
En revanche, ils ont bien connu le frère du grand père disparu, Léopold Vassout dit « l’oncle Pol »qui sera célibataire toute sa vie et qui habitait au 30 rue de Romainville.
La grand-mère Vassout, Joséphine, habitait rue Rouget de l’Isle. » La grand mère Joséphine nous racontait que sa belle-mère Héloise Vassout né Campagne (1838-1921) et son mari Vincent Jean baptiste Vassout (1834-1882) les parents de Léopold et d’Edouard-Eugène, transportaient à pied les légumes et les fruits dans une hotte jusqu’aux Halles de Paris”.
Elisabeth Fischer, la grand-mère maternelle, était née en 1872 à Sèvres au relais de Poste. Avant de venir à Romainville pour s’installer comme cafetier, son mari avait été cocher de fiacre. Après le mariage, la grand-mère Fischer vint vivre dans la maison de la rue Franklin.
Charles Vassout fut un des premiers cultivateurs de Montreuil à partir en vacances en 1928. “Ca faisait scandale ,ces départs à la mer. On partait tous en train. Mes parents restaient quinze jours et on restait pendant un mois avec la grand-mère Fischer. J’avais quatre ans, je me rappelle Berck-Plage. A l’époque c’était réputé, car c’était, paraît-il, bon pour soigner la tuberculose”.
Charles Vassout cultive neuf jardins à Montreuil : les Hanots, les Néfliers à la Boissière, la rue Saint-Antoine, la rue de Rosny, Nanteuil, les Ruffins, Tillemont, les Ramenas, et le terrain d’environ 1200 m2,autour de la maison de la rue Franklin. Il fait chaque jour à pied les 2 kms qui séparaient la maison des jardins les plus éloignés ; « Mon père avait un rond en crin qu’il mettait sur sa tête pour porter les noguets, parfois chargés de 35 kg de fruits ou de légumes ».
Ce n’est que vers 1930 que Charles Vassout achète une camionnette Unic. Dans chacun des neuf jardins, il y a une cabane et un puits. Sur les murs, des pommiers conduits à la diable. Au milieu des carrés, des gobelets de poiriers et de pommiers dont les branches se croisent et s’emmêlent. Aux pieds des murs, les costières devaient être impeccables sans un brin d’herbe. Sur le haut des murs, en-dessous du chaperon, les échalas reçoivent des châssis en fer sur lesquels on installe des plaques de verre. Le jeune Jean accompagne son père au jardin et s’amuse parfois à casser ces châssis de verre dont il ne sait pas très bien s’ils servent à réchauffer les arbres ou à les protéger de la grêle. « Mon père avait son panier à palisser sur le ventre et le marteau à palisser sur le côté. Il préférait palisser à l’osier, car c’était plus résistant et demandait moins de travail que les loques qu’il fallait faire bouillir pour éliminer insectes et maladies. Je ne me rappelle pas que mon père traitait beaucoup les arbres au Vermorel. Le fléau numéro un à Montreuil c’était le puceron lanigère. Pour le détruire, on préparait une solution d’alcool à brûler avec de la nicotine à 90%. La nicotine c’était le produit miracle. Stockée dans des bonbonnes de verre, il nous était interdit d’y toucher. Mais dès mes 6 ans j’étais chargé de badigeonner les pucerons avec un petit pinceau et mon père me donnait deux sous par verre. Parfois, le verre se renversait accidentellement mais j’avais mes deux sous quand même. A 10 ans je faisais les traitements au sulfate de cuivre et à l’arséniate de plomb. C’était payé 10 sous. “Ca me coulait vert de la bouche et ma mère me disait va te laver avant de manger. »
A Montreuil, les Vassout cultivent aussi quelques légumes (poireaux, haricots verts, rhubarbe, oseille, laurier, thym) et surtout des fleurs (pivoines, narcisses, lilas, œillets mignardise, roses mousse et roses pompon de Bourgogne). « Les pompons de Bourgogne sentaient très bon mais ne se vendaient pas très bien ». A cette époque point de gâchis, on vend tous les fruits, même les tachés. Ils sont vendus aux Halles dans des fleins. Au 6 rue Franklin, dans la pièce de l’accommodage où on emballe les fruits, les enfants sont chargés de tarer les fleins sur la grande balance Roberval. Ils notent sur un papier le poids brut, la tare, le poids net puis glissent le papier sous l’osier de l’anse. Puis on charge le flein de 3kgs fruits, quelques tachés au fond puis les tavelés puis les beaux. Les fleins sont mis dans de grandes panières rectangulaires, dans lesquelles on glisse des barres de bois pour faire deux rangs de fleins. Sous la panière deux gros bastaings permettent de la faire glisser sur le bitume du carreau des Halles. « On avait toujours peur que les acheteurs vident les fleins. Alors on leur disait : tu me les ramèneras demain, et parfois ils revenaient en disant , dis-donc ,tes fruits ils étaient un peu abîmés ».
A cette époque, la spécialité de Montreuil ce sont les pêches. Alors que Charles Vassout est fait prisonnier, Jeanne aide Joséphine à brosser et à emballer les précieuses pêches avec du coton et du papier, pour la vente en épicerie ou l’expédition à l’ambassade de Russie. “Notre mère nous racontait qu’elle en avait versé des larmes pour les pêches de Montreuil. Car en faisant le rond, au moment où on finit la pyramide, il arrivait qu’une pêche lui échappe des mains et roule par terre, ce qui provoquait la colère de Joséphine”.
Jean Vassout, n’a pas souvenir de la culture des pêches mais il se rappelle bien les fameuses Calville et les poires. Car à Montreuil, après les pêches, les pommes Calville, « c’était le saint sacrement ». Elles étaient conservées dans le noir au fruitier. On les emballait dans des carrés de ouate en cagettes de 4-5 kg. Puis elles étaient livrées à la Tour d’Argent, à la rôtisserie périgourdine ou à l’ambassade de Russie. Elles étaient vendues l’équivalent de 15 euros pièce, une somme aujourd’hui impensable pour un fruit. Charles Vassout marque les fruits et le marquage se fait sur Pomme d’api et sur Grand Alexandre. « Quand il avait plu, on allait chercher les escargots. Ils dégorgeaient dans du sel pour faire la colle destinée aux marquages des fruits. Je me rappelle les vignettes de Maurice Chevalier et de la tour Eiffel. On coupait les vignettes avec des emporte-pièces puis on les collait sur les fruits sur l’arbre, à la bave d’escargot car cette colle naturelle résistait bien à la pluie ».
Les dernières années à Montreuil
Aux élections municipales de mai 1935, Montreuil devient la deuxième ville communiste de France. Charles Vassout était un catholique converti, baptisé à l’occasion de son mariage. Il était militant paroissial au conseil curial et rédigeait le bulletin paroissial. Charles Vassout était ami avec les familles Aubin et Chevalier. Tous ces hommes se voyaient, faisaient banquet ensemble et se retrouvaient rue de Grenelle à la société nationale d’horticulture de France. A l’époque la haine entre les cultivateurs et les communistes etait forte, ils se disaient de droite. « si de Duclos vous en avez soupé, envoyez-le Aubin ». Du haut des murs de l’usine Monopole qui fabriquait des postes de radio et qui était attenante à la maison des Vassout, on voyait la nouvelle mairie. La mairie que l’on connaît aujourd’hui a été reconstruite en février 1935, juste avant le changement de majorité politique à Montreuil. « Mon père me hissait sur un mur pour partie éboulé et me demandait : regarde s’ils ont mis leur torchon sur la mairie ». Le torchon en question, c’était le drapeau de l’Union soviétique.
Une fois par an, au mois de juin pour la fête Dieu, les familles sortaient de l’école catholique en haut de la rue Pépin, puis descendaient la rue, chantant en procession jusqu’à l’église. Arrivé en bas, le cortège était accueilli par une pluie de pierres et d’injures et tout le monde filait vite se réfugier dans l’église. « Nous, les enfants, cela nous faisait plutôt rire. Le curé était un peu fou et il y avait beaucoup de provocation de part et d’autre. Il faut dire que la permanence du parti communiste était en face de l’église ». Cette haine a accéléré le départ de Montreuil, car Jeanne avait peur qu’un jour il arrive quelque chose de grave.
Jean Vassout n’aimait pas l’école, il préférait être avec son père au jardin. Si bien que son père lui avait fait fabriquer alors qu’il était encore tout jeune. « Mes parents avait une employée alsacienne très forte et très costaude. J’étais son p’tit Jean. Elle me tirait par le bras pour m’emmener à l’école et je hurlais sur la route ». Pour Charles Vassout, il était hors de question d’inscrire ses enfants à l’école publique. Jean Vassout aimait tellement l’école qu’il en usa une par an. Il alla d’abord à l’école catholique de la rue Pépin, puis à Vincennes. Sur le chemin de Vincennes, Jean se rappelle, le matin, les allumeurs de becs de gaz avec leur grande perche. Puis en 1936 comme ça se passait mal à Vincennes il fut mis en pension à Versailles. « Pour partir de Versailles, j’ai fait croire à ma mère que les ouvriers voulaient prendre l’école et je ne suis plus jamais retourné dans aucune école. ». Face à la mairie, il y avait un studio photos. Ce studio avait appartenu à Méliès, ce génie qui a fini sa vie en vendant des jouets à la gare Montparnasse. Pour sa communion, le 7 mai 1937, Jean Vassout a été pris en photo dans ce studio. Dans la famille Vassout, il se dit que les premières serres qui servirent de studio à Méliès appartenaient à la famille.
L’installation de Charles Vassout à Gambais
C’est Charles Vassout qui décida qu’il était temps de partir, pour plusieurs raisons. Le travail sur toutes ces petites parcelles, éloignées les unes des autres, engendrait trop de perte de temps et il fallait trouver un grand terrain, ce qui était impossible à Montreuil. Les expropriations commençaient et il venait d’être exproprié de trois jardins, qui deviendront stade, école et route. Le climat social et politique local n’était plus guère favorable aux cultivateurs. Les derniers terrains Vassout de Montreuil seront vendus avant la seconde guerre mondiale. Charles Vassout et sa femme se mirent donc en quête d’un terrain de cinq à six hectares d’un seul tenant. C’est à Gambais en Seine-et-Oise (actuellement les Yvelines)en 1926 qu’ils trouvèrent une ferme à vendre avec deux hectares de bois et quatre hectares de prés. Il achetèrent ce terrain car il était situé au sud, en contrebas de la butte de Bazainville, protégé du nord et donc du gel. Pendant dix ans Charles Vassout va cultiver Montreuil et Gambais pour préparer le départ. Un travail de titan qui fut une véritable épopée, un pari sur l’avenir.
A Gambais, il fait retourner la terre par un cultivateur local. Les gens du coin n’étaient pas tendres avec ces nouveaux venus et ils lui disaient, en le voyant faire, qu’ici on n’avait jamais vu aucun fruit pousser. “On était des horsains pour les gens de Gambais des parisiens quoi”.
Le sol très sablonneux est argileux à 60 cm de profondeur, et il va falloir drainer les parcelles en faisant des tranchées, aidé par des ouvriers polonais pour poser les drains en terre cuite. Sinon, tous les arbres auraient baigné dans l’eau et se seraient asphyxiés. Puis il arrache à la main les deux hectares de bois. Il va à Gambais trois jours par semaine, y travaille jusqu’à la nuit et rentre pour les enfants et pour faire la vente aux Halles. Jean est parfois du voyage à l’arrière de la camionnette, car, contrairement à son frère Louis, il ne va pas à l’école. Un ouvrier est aussi du voyage et est chargé de dire si quelqu’un cherche à doubler. « On mettait deux heures et demie pour aller à Gambais. On passait les octrois de Paris et Versailles. Sur place au début, il n’y avait pas d’eau ni d’électricité. Il y avait l’eau du puits et la lampe à pétrole, c’est tout ». Charles Vassout plante en contre espaliers les variétés traditionnelles de pommes de Montreuil, des Canada blanc, des grand Alexandre et des Calville et plante en gobelets et des Passe-crassane, des Comice.. Il Réserve une parcelle pour les légumes et plante un hectare de pivoines. « La Calville de Gambais était bonne mais sa couleur était très laide à cause de la nature sablonneuse du terrain, alors on a arrêté la Calville qui était invendable ».
Jean Vassout a 12 ans quand la famille quitte définitivement Montreuil en 1937. Jean Vassout ne va plus à l’école mais il a une préceptrice. Il étudie chez elle de 10h à 12h et rentre à la maison faire ses devoirs afin de repartir au plus vite dans les champs. Il réussit à avoir son certificat d’étude le 8 juin 1939 puis arrête les études pour se consacrer à sa passion auprès de son père. » quand il est arrivé à Gambais, mon frère Louis me disait “tu verras un jour je serai maire de la ville et je ferai venir le métro”. Louis Vassout est effectivement devenu maire de Gambais pendant 36 ans de 1953 à 1989. Si il n’a pas fait venir le métro, il a notamment mis en place un réseau de bus pour prendre les enfants dans les 21 hameaux de Gambais et bien d’autres équipements collectifs pour ses citoyens.
Les innovations
Pour retourner le terrain de Gambais, Charles Vassout utilise une charrue Magnier Bedu. A l’avant, ce sont les enfants qui tirent et, derrière, le père dirige. Pour le pulvérisateur c’est le même type d’attelage familial qui fonctionne. A la différence près que lorsque la terre est grasse, le pulvérisateur Vermorel de 50 litres s’enfonce dans la boue et c’est très dur d’avancer dans ces conditions à cause des roues en acier.
Conscient de ces difficultés, Charles Vassout cherche à innover. Ces conditions de travail ne peuvent plus durer. Avec un artisan de Puteaux assez ingénieux, Charles Vassout va concevoir en 1933 son premier motoculteur avec un moteur Renault, des roues crantées et des dents de canadien. Dans la continuité, en 1935, il lui fera fabriquer un pulvérisateur avec une tonne à eau montée sur une B2 Citroën, un compresseur Bavox de 4 chevaux posé à côté du chauffeur. « On avait coupé l’arbre et on débrayait pour avancer ou pour comprimer la cuve. Le gars de Puteaux avait fabriqué des lances spéciales avec un tube alu de 30 mm. Un tuyau amenait l’eau et un autre la bouillie de traitement » Beaucoup de gens sont venus voir le système. Quelques années plus tard, Charles achète son premier pulvérisateur Guinard et le prototype de pulvérisateur a été modifié pour l’engraissement des arbres. “Pour le binage on a évidemment d’abord biné à la main. On binait les dix hectares trois fois par an. Enfin on a acheté une bineuse rotative. Le père ne voulait pas qu’on laisse de déchets sur le sol comme le bois de taille, car il avait peur du pourridié alors on brûlait le bois sur place”.
“Le sol de Gambais c’était du 0+0+0, un sol complètement mort qu’il a fallu engraisser à 4/8/8. Heureusement est arrivé le système PAL de M. Glenzer” (4/8/8 donne la proportion en Kg d’engrais pur N-P-K N=azote P= Phosphore, K= Potassium). Le PAL est une sorte de grosse seringue qui permet d’injecter dans le sol de l’engrais soluble au plus proche des racines de l’arbre. Ce principe d’engraissement utilisé à Montreuil dès la fin du XIXe siècle sera considérablement amélioré par M. Glenzer. Patiemment, durant plusieurs années, à raison de quatre piqûres par arbre trois fois par an, le verger de Gambais sera enrichi avec des engrais solubles à 4/12/38 spécialement préparés, à concentration de 200 kgs pour 1000 litres, pour chaque période de l’année : au printemps pour le démarrage et la nouaison, en été pour favoriser le grossissement et la teneur en sucre des fruits, en septembre pour préparer les bourgeons à venir. De plus, tous les deux ans un épandage de purin et de fumier de ferme complètera le dispositif. Le système PAL était un bon système mais trop lourd en main d’œuvre et l’entreprise de M. Glenzer déposa le bilan. “Après on a continué en adaptant le système, en modifiant une dent de Canadien de la charrue. Cela permettait d’engraisser plus rapidement en passant avec le tracteur. C’était plus rapide mais moins précis car, par arbre, on adaptait le dosage à chaque sujet. Les arbres étaient superbes, couverts de bourgeons ».
Jean Vassout est un partisan du déséquilibre par l’engraissement pour la mise à fruits. » L’injection d’une solution de chlorure de potassium favorise la mise à fruits. Je faisais beaucoup d’essais pour voir comment les arbres réagissaient, et cela me plaisait beaucoup. » La principale difficulté à Gambais c’etait les cochenilles, que l’on traitait à l’huile blanche et surtout l’anthonome du poirier. L’arrivée du DDT en 1947 a apporté la solution à ce fléau ».
Ensachage et coloration
“On ensachait les Passe-crassane, les Comice et Beurré Hardy, mais pas les pommes”. L’ensachage dure environ un mois et occupe une quinzaine de saisonniers chaque année. Chaque personne pose plus de deux mille sacs par jour. La pose des sacs coûtait 1 franc du kilo, et les fruits ensachés étaient vendus 1,50 franc de plus que les autres. « Chaque année on posait un million de sacs qui était préparés l’hiver. Ca permettait de gagner mieux. On aurait pu dire que c’était bio. » A Gambais, le marquage des fruits est vite abandonné. Par contre les pommes Grand Alexandre sont spécialement choyées, pour finalement obtenir 99% de fruits bien colorés . Vers le 15 août, après avoir cueilli les Grand Alexandre, on les étalait sur des cagettes. Puis on les recouvrait avec du bacula pendant 48h avant de les exposer en journée, car la nuit elles restaient protégées du fameux coup de lune”. Les pommes ainsi exposées se coloraient en onze jours. S’il faisait trop chaud, elles étaient arrosées pour en faire baisser la température. « On les vendait notamment chez Couté, boulevard Raspail ».
Les Halles de Paris
Dès 1930, Charles Vassout loue un espace aux frigos de Bercy qui se trouvent en sous-sol sur les bords de Seine. Des frigos existent aussi aux Halles de Paris, mais Charles Vassout les juge de mauvaise qualité. Avec son frère Louis, Jean emballe en caisses de 60 kgs fermées par un couvercle cloué. Les fruits sont protégés par de la « copillette », de la fibre de papier de soie coupée en lamelles. Pour transporter les fruits par chargement de 5 tonnes de Gambais à Bercy, ils prennent un transporteur. « Ces frigos, j’en ai encore l’odeur dans le nez. On amenait les fruits jusqu’au quai de déchargement, les ripeurs nous aidaient à les mettre en chambre, tout à la main, caisse par caisse, car il n’y avait pas de transpalette à l’époque et puis on payait au m3 et au mois ». Avant la vente, il faut aller chercher les fruits aux frigos de Bercy pour les remettre au fruitier à Gambais pendant 10 à 12 jours. « On faisait trois tris, on les triait par maturité et on en déclassait. J’avais calculé que chaque fruit nous passait sept fois dans les mains (éclaircissage, ensachage, cueillette, calibrage, tri, emballage, vente). On vendait des fruits bons à consommer sous 48h ».
Pour aller aux Halles, Jean Vassout part de Gambais à 21 heures et arrive à 22h-22h30 boulevard de Sébastopol ; et là, il lui faut encore deux heures au pas pour arriver au déchargement, tellement cela bouchonne. Les forts traçaient à la craie par terre des emplacements de trois ou quatre rangs (un rang est égal à un colis sur six mètres). Le samedi comme il y avait beaucoup plus de monde, ils donnaient le plus souvent seulement trois rangs. Les forts avaient un grand chapeau. « Ils devaient pouvoir porter 120kg sur six mètres pour devenir “Fort des halles”, mais après, en réalité, ils ne faisaient que tracer à la craie et c’étaient surtout des étudiants ou des S.D.F payés par les forts qui faisaient le déchargement. Nous, on donnait un petit pourboire aux étudiants « . La vente démarrait à 1h00, jusqu’à 9h00. Les principaux clients c’était d’abord les marchandes de quatre saisons. “ Le matin, la marchande de la rue Lepic prenait quinze colis de poires en plateau et huit caisses de 25kg de Canada blanc”. Puis Jean repartait vers Gambais où il arrivait vers midi pour préparer le lendemain. « On dormait une nuit sur deux. On travaillait 70h la semaine. Les Halles c’était une ambiance exceptionnelle. Des nuits entières parfois sous la pluie ou à -12° avec les braseros. On était parfois tellement fatigués qu’on n’arrivait plus à faire les factures et au retour le camion se souvient encore des trottoirs ». Au retour, Jean Vassout et son ouvrier s’endorment au feu rouge, ils se font réveiller par les klaxons. Malgré cette ambiance inoubliable, Jean et son frère ont tout fait pour éviter les mandataires, afin de mieux vendre les fruits. Il faut dire qu’à Gambais, les deux frères ont treize enfants à nourrir. « On a tout essayé pour mieux vendre nos fruits et même le porte àporte ». Ils partent le matin et arpentent les rues de Paris pour vendre en direct leurs fruits et légumes aux détaillants. L’autre moyen de vente, c’était les marchés de Versailles, Boulogne-Billancourt et Ram-bouillet. « On vendait le second choix de légumes au marché, comme les patates par 50kgs. Quand on vendait les patates avec mon père, j’entends encore : le petit jeune homme, il pourra venir me livrer ?.. et j’arrivais en haut de l’immeuble exténué, mais j’avais un sou. »
Vers 1945, les frères décident de retourner aux Halles car il n’y avait pas assez de débit avec la vente directe. Il faut alors acheter des colis et faire un emballage plus soigné, car au marché ils ne vendaient qu’en caisses. Au début, ils se retrouvent à Saint-Eustache avec les maraîchers qui leur réservent un accueil glacial. Puis ils rejoignent le Carreau de Montreuil rue Pierre Lescot et rue Rambuteau. « On y a retrouvé les familles Grosdidier, Gardeblé. Mais vers 1955, il n’y avait quasiment plus de fruits de Montreuil à vendre aux Halles mais par contre beaucoup de fleurs”.
La guerre
Pendant la guerre, Charles Vassout ne voulait pas faire de marché noir. Il fait alors un peu d’élevage pour la famille avec des veaux et des vaches et produit des haricots verts sur un hectare. Pendant cette triste période, c’était assez facile de vendre. Les acheteurs viennent directement à Gambais. Les récoltes sont vendues au prix de détail officiel des mercuriales. « Après, ils faisaient leur « gratte » dessus. Des coopératives venaient aussi acheter des haricots verts. En contrepartie on nous donnait du carburant. » Malgré tout, Charles Vassout et ses fils font les marchés de Versailles et Boulogne-Billancourt. « On était tout seuls sur ce marché de Boulogne-Billancourt avec notre diplôme de ravitaillement de la commune. Près de 800 personnes faisaient la queue pour les rutabagas, les haricots verts, les pommes de terre. C’était 1 kg maximum par personne. La police surveillait la vente. Car lorsqu’il ne restait plus que quelques kilos, les gens se battaient pour ce qu’il restait et on ne pouvait rien y faire. Le prix était le prix officiel de détail. Comme on avait une camionnette, on avait été réquisitionnés pour transporter les blessés au point de la Croix-rouge et on avait un ausweis sur le pare-brise. En 1942 l’usine Renault de Boulogne Billancourt est bombardée et des bombes tombent sur le marché. On a tous failli être tués ce jour-là et on doit notre survie à une table de poissonnier sous laquelle on s’est protégés. » Quand Jean et son père Charles quittent le dessous de la table, les immeubles sont écroulés, et autour d’eux ce sont des pleurs pour les morts et les blessés. Miraculés, ils ne reviendront plus jamais à Boulogne. Après la guerre, Charles a voulu revenir sur ce marché mais la mairie de Boulogne donnait ses places de marché contre l’adhésion au parti communiste. « Vu le passé de Montreuil, mon père court encore et on n’est plus jamais retournés à Boulogne-Billancourt ».
C’est lors du mariage de Louis avec Cécile Vassaux le 6 août 1942, que Jean rencontre celle qui deviendra sa femme : Jeanne Vassaux, la sœur de sa belle-sœur. Mais Jean part au service militaire en novembre 1946 et il leur faut attendre son retour, en octobre 1947, pour se marier. Ils se marieront le 22 novembre 1947, après la fin de la cueillette, prioritaire ! De ce mariage naissent six enfants. Les deux sœurs Vassaux sont issues d’une famille de cultivateurs de Normandie venue s’installer à Paris pour tenir un café.
A cette période, Charles Vassout achète un cheval pour tracter la charrue et le pulvérisateur. Lors des traitements d’hiver, le pauvre cheval se retrouvait tout jaune à cause de l’huile jaune. Il restait ainsi jusqu’à ce que son poil repousse, ce qui lui conférait un certain succès en ville !
La transmission
C’est juste après-guerre, en 1945, que Louis Vassout reprend officiellement l’exploitation et s’associe avec son frère Jean. Les terrains sont loués au père. Ce mode de transmission assure ainsi une sorte de retraite pour les parents. Tous les deux ans, les deux frères rachètent un hectare. « Petit à petit on a racheté les douze hectares de terres ». Ainsi Charles Vassout a pu acheter une nouvelle maison pour sa retraite. Louis Vassout arrête l’exploitation des terres en 1950 pour travailler chez Standard Oil (Esso) dans la vente de produits chimiques agricoles. Jean aide son frère Louis et stocke des produits chimiques pour Esso, mais livre aussi les produits pour le traitement des grandes cultures. « J’allais à Ivry chercher trois à quatre tonnes de produits en petits cartons de 25 kg » Ce travail rémunérateur permet à Jean et Louis d’investir en 1954 dans leur première chambre froide de 30 tonnes. Ils en installeront une autre en 1957, l’année maudite…
Le gel de 1957 à Gambais
La protection des vergers adossés à une butte est un leurre des anciens. Les 7-8-9 avril 1957, la température descend à -8°. Jean et Louis Vassout perdent tout. « Pour lutter contre le gel, on a brûlé près de cent tonnes de pneus. On allait dans les garages en chercher. On a bouché les routes avec ça, mais les habitants nous soutenaient. Quant à la pollution, cela ne souciait personne…on a brûlé des arbres, mais on n’a pas sauvé les fleurs. » Après avoir tout tenté, il faut se rendre à l’évidence : la récolte est définitivement perdue. Alors il a fallu sauver le travail des ouvriers. Car à l’époque l’exploitation employait quatre ouvriers toute l’année et de nombreux saisonniers pendant les deux mois de récolte et d’emballage. Ils étaient nourris, logés et blanchis. Ils mangeaient alternativement chez Jean ou chez Louis. Tout le monde travaille durement 9 h par jour en moyenne et 11h pendant la récolte, et parfois même le dimanche. Cette présence quotidienne aux côtés de la famille crée un attachement. C’est Jeanne et Cécile Vassout qui s’occupent d’eux avec une aide ménagère. Chaque jour il faut préparer le petit-déjeuner et les repas à table pour la famille et les ouvriers. Chaque année, la famille fait rentrer deux tonnes de pommes de terre pour nourrir tous le monde pendant la saison.
Pour maintenir les emplois en 1957, les frères Vassout placent les ouvriers dans d’autres fermes et même jusqu’en Beauce. Puis il profite de ses connaissances pour repeindre des écoles privées catholiques ou des presbytères. Il font aussi des boudins de frisure d’avance pour l’emballage en plateau et mille petits boulots qui ont sauvé l’exploitation de la faillite. Par la suite pour lutter contre le gel, Jean et Louis achètent 3000 braseros, pour en disposer 250 à l’hectare. Ce sont des tonnes de fuel qui brûlent. Huit thermomètres surveillent le verger et quand le thermomètre sonne, la nuit est perdue. « Il fallait se lever vite pour aller allumer les braseros et protéger les récoltes. La nuit, les écarts thermiques sont très brutaux. La température peut descendre de 2° au passage d’un nuage. La nuit, la vie des arbres est réellement perceptible. On voit les fleurs qui luttent contre le gel, elles bougent la nuit, puis tout à coup la fleur tombe, elle abandonne la lutte pour la vie. Le gel et la grêle sont vraiment les deux plus gros fléaux des arboriculteurs ».
La création de “Vassout Fruits”
Rue Pierre Lescot se trouvait un commissionnaire en produits de luxe qui vendait bien les fruits de Gambais. C’est lui qui, pour la première fois, suggère aux deux frères Vassout de créer une marque pour leurs fruits.
Alors, quand les supermarchés Casino de Messieurs Guichard et Chatenais achètent des fruits pour leurs magasins de Clichy, Saint-Denis et Levallois, tous les fruits sont étiquetés avec la marque « Vassout-Fruits ». Pendant dix ans ils travailleront avec Casino, vendant des fruits dans de jolies barquettes personnalisées, installant ainsi la marque familiale.
Né en 1945, Roger est l’ainé des fils des deux familles. Ce neveu de Jean travaille avec lui à partir de 1962, dès l’âge de 16 ans. Louis Vassout s’éloigne de l’exploitation car il est, très pris par ses nouvelles missions d’élu. Il se présente aux élections et est élu maire de Gambais pour de nombreuses années. En 1970, Roger succède à son père en tant qu’associé dans l’exploitation.
INTERVIEW DE ROGER VASSOUT
Roger Vassout est né dans la demeure familiale de Gambais, la ferme Sainte-Thérèse. Il faisait froid en ce 5 février 1945 et c’est par moins 20 degrés que le médecin est arrivé en vélo de Dourdan. Roger est le fils de Louis Vassout et de Cécile Vassaux. Il est le deuxième d’une famille de 7 enfants et le premier garçon. Dans la cour de la ferme, c’est une quinzaine d’enfants qui jouent. Dès l’enfance, Roger prend plaisir à aider son père aux petits travaux de l’exploitation. De tous les enfants des deux familles, il est le plus passionné par le métier de son père et de son oncle. Ses sœurs s’orientent vers des études. Il va à l’école communale de Gambais puis à l’école catholique. “Dans la famille on était très croyant, les garçons allaient à l’école Saint-Christophe à Houdan et les filles à l’école Jeanne d’Arc. Mais l’école, ce n’était pas mon fort ; je suis plutôt du genre bac moins 5 !” Roger passe quand même son brevet élémentaire en 1960 et dès le mois de juillet, il est employé à l’exploitation. Il a 15 ans. Le père, Louis Vassout, a 41 ans et sa vie professionnelle est partagée entre la ferme et son nouveau travail chez Esso où il vend les premiers produits phytosanitaires en France. Le jeune Roger n’a pas de régime de faveur et il participe à tous les travaux, comme les ouvriers. Les travaux sont durs. Les plus longs et les plus pénibles sont le désherbage, l’épandage de fumier, les traitements. Pour traiter un hectare, il faut deux jours avec le tracteur ou bien trois jours avec le cheval. “ on ne laissait pas les vergers enherbés ; il fallait absolument désherber, et à la main, car il n’y avait pas de produit. Entre les rangs, on passait la charrue pour aérer le sol. On épandait du fumier de poule très riche en acide phosphorique. Et puis on pratiquait les piqûres d’engrais soluble au PAL, dans lesquels on rajoutait du purin.” Ce qui plaît le plus au jeune Roger, c’est tout ce qui concerne la vente. “Ce qui me passionnait c’était la présentation, la conservation et la vente surtout. C’était quelque chose, l’ambiance au ventre de Paris”. Roger part aux Halles avec son oncle Jean et parfois avec son père. Roger se forme « sur le tas ». Mais il lit aussi les revues professionnelles, telles que l’Arboriculture fruitière ou Phytoma. Il découvre alors d’autres techniques. En famille, on évoque parfois Montreuil avec le grand-père Charles mais sans nostalgie. On parle de technique. “Petit, je ne me rappelle pas être allé à Montreuil. Il semble que la famille n’avait pas de liens avec d’autres familles, qui auraient justifié d’y retourner. J’ai connu mon grand-père jusqu’à sa mort en 1961. Quand mon père est arrivé à Gambais, il a dit : un jour, je serai maire de la ville…et il est devenu maire en 1959”.
Louis Vassout avait une vision noble de la politique, une envie d’agir pour le bien de tous. D’abord conseiller municipal en 1953, il se présente en 1959 sans étiquette politique, bien que plutôt de centre droit. Toute la famille soutien sa candidature et participe au collage des affiches, aux réunions publiques. Il sera maire pendant 30 ans jusqu’en 1989. Il deviendra conseiller général et participera au développement du canton de Houdan. “Mon père avait une grande force de travail et était très organisé. Il menait de front son mandat de maire, de conseiller général, d’employé chez ESSO et le suivi de l’exploitation. Malgré cette activité intense, on partait chaque année en vacances et c’était très important pour lui. On partait le plus souvent dans les Pyrénées, à Saint-Jean de Luz l’été et à la montagne l’hiver ”. Pendant le week-end, une famille de Montrouge vient profiter de sa maison de campagne de Gambais. Sylvie, la fille de la famille, rencontre les jeunes hommes de Gambais. Et voilà… Roger épousera Sylvie en 1966. Stéphanie, la fille du jeune couple, naîtra en 1968 puis ce sera Fabien, le garçon et dernier enfant de la famille.
En 1973, Roger reprend les parts de son père dans l’exploitation et devient l’associé de son oncle Jean Vassout jusqu’en 1981. Roger a 28 ans et Jean 41. L’écart d’âge entre les deux hommes est propice aux discussions sur les méthodes de travail. En 1981, Roger rachète tout le matériel et loue les terres. Il devient alors le successeur de l’aventure familiale. A partir de 1981, il renouvelle cinq hectares de pommiers afin de diversifier les variétés. En effet, ce sont encore les variétés de Montreuil qui priment à Gambais : la Canada blanc et la Grand Alexandre. Il plante Golden, Melrose, Delbard Estival, Early Red One, Jonagored et Jubilé. Quatre hectares de poiriers ravagés par le feu bactérien seront aussi renouvelés. Roger arrête la lutte contre le gel avec les 2 500 braseros, qu’il juge trop coûteux en temps et en carburant par rapport à l’effet produit. Il cesse aussi de désherber les plantations et de labourer. Désormais les vergers sont entièrement enherbés. Il remplace l’arrosage à lance par le goutte à goutte. Il abandonne l’engraissement par PAL injecteur. Il complète sa connaissance du verger par des analyses de feuilles et de fruits. Il engraisse désormais beaucoup moins, uniquement en surface et fait des apports d’oligo-éléments en foliaire. Ces nouvelles techniques sont aussi impulsées par le Cercle interprofessionnel des arboriculteurs d’Île-de-France qui vient de se créer et auquel Roger adhère en 1982. Cela lui permet d’échanger avec d’autres arboriculteurs. Les temps changent, de nouvelles variétés apparaissent, des techniques nouvelles qui sont le résultat d’une meilleure connaissance des arbres et des sols.
En 1969, c’est aussi toute la distribution des fruits qui est bouleversée par le déménagement à Rungis. Avec ses nouvelles variétés de pommes, Roger triple vite la surface de vente à Rungis. Il emporte des éclairages pour mettre en valeur ses emballages qu’il soigne particulièrement. Étiquettes et papier de soie créent un écrin pour chaque fruit et seront la marque de fabrique Vassout. “Déjà tout petit, je rêvais d’une esthétique et d’une présentation nouvelle. J’aime la musique, la peinture, l’architecture, l’art en général et tout ce qui est beau. J’avais envie d’avoir un « beau » stand à Rungis où les gens admireraient mes fruits”. Cette démarche nouvelle s’accompagne aussi d’une revalorisation des prix et Roger vend plus cher que tout le monde. Il est alors le plus jeune producteur du carreau de Rungis. L’entreprise familiale change de statut juridique et devient l’EARL « Vassout Fruits ». Sylvie, la femme de Roger, abandonne son travail de chercheur à Saclais pour s’occuper de l’administration de l’exploitation. Les affaires marchent bien et Roger doit agrandir la station de stockage et de conditionnement. “La ferme Sainte-Thérèse devenait trop exiguë et inadaptée à l’utilisation de chariots élévateurs. Les frigos que nous avions construits avec Jean en 1953 était devenus obsolètes.” La ferme familiale est vendue pour financer une partie des investissements. Roger croit en l’avenir, il décide d’aller de l’avant et investit. A Gambais, il est locataire des terres familiales et il sait qu’un jour les cousins et ses sœurs et frères reprendront naturellement le patrimoine familial. Alors, il lui faut acheter des terres. “J’ai fait le pari de la poire Comice. Pour avoir une bonne Comice, il faut des arbres d’au moins quarante ans. J’ai donc cherché un ancien verger. J’étais ami avec M. Marchand de Cheptainville. On s’entendait bien. Lorsqu’il a décidé de se retirer du métier, il m’a vendu. Il faut dire que j’étais le seul repreneur. Ce verger est un verger d’exception, il fut, dans les années soixante, le plus grand verger de France et quand je l’ai acheté, il faisait encore trente hectares. A Gambais, sur les 17 hectares j’ai racheté 7 hectares.” Cheptainville est un verger idéal, il y fait toujours 2 à 3 degrés de plus qu’à Gambais à altitude égale et de mémoire d’arboriculteur il n’a jamais gelé sur la partie haute. Sur la partie basse, une gelée tous les trois ans en moyenne. Étant donné les investissements, la situation financière de l’exploitation est tendue. Roger est assuré contre la grêle. En 2003, il décide alors de s’équiper de filets sur Cheptainville et Gambais et par conséquent de ne plus souscrire d’assurance grêle. Sur la partie basse de Cheptainville, il s’équipe de tours antigel. “Je suis en train d’étudier la mise en place de films réfléchissants pour compenser la légère perte de coloration due au filet paragrêle »
Aujourd’hui, Vassout Fruits c’est 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires, 7 salariés permanents, 7 salariés 6 mois de l’année, 7 saisonniers sur 3 mois pour le calibrage, plus tous les saisonniers de la cueillette. C’est 300 tonnes de pommes et 500 tonnes de poires, des Williams, des Passe Crassane, des Comice, des Beurré-Hardy exceptionnelles qui font la renommée de Vassout sur le carreau. Mais aujourd’hui l’arboriculture française est en crise et en Île-de-France la situation est dramatique. Roger Vassout a la chance de ne pas être autant touché que ses collègues par la crise. En 2004, Fabien, le fils de Roger reprend l’exploitation et devient le gérant de Vassout Fruits. Il emprunte pour racheter la moitié des parts de l’entreprise et devient à son tour, comme son père avant lui, le plus jeune arboriculteur du carreau de Rungis. Sur fond de crise, Roger Vassout reste optimiste. “Il y a toujours eu des périodes dures, comme pendant les périodes de forte inflation. Et puis ces périodes pré-électorales sont toujours des moments où les gens achètent peu. Mais pour moi, il y aura toujours de la place pour du bon fruit de qualité. C’est moins dur pour nous que pour d’autres, mais il ne faut pas se reposer sur nos lauriers. Dans la vie, si tu penses que tu es arrivé, c’est la fin. Avec leurs certitudes, beaucoup ont hélas disparu.”
La situation nouvelle pour les arboriculteurs, c’est la concurrence de l’hémisphère sud qui ne se limite plus aux seuls mois d’été, et aussi les importations des pays de l’Est et de la Chine. “Moi, je suis un optimiste. Nos limites sont dans nos esprits et si on y croit on y arrive toujours. Je suis un battant comme mon père.”
Roger est grand-père d’un petit Mathis, fils de Fabien et de Carine. La famille Vassout est aujourd’hui la plus ancienne famille d’arboriculteurs d’Île-de-France. “Je suis assez fier de la longévité de notre famille. Mais malgré tout, on est assez peu matérialiste et conservateur dans la famille. Ce qu’il me reste du passé? Ce sont ces quelques photos dans mon bureau et puis mes souvenirs. Jusqu’à présent, chaque premier garçon a continué la lignée, alors peut-être que Mathis sera le prochain, j’y pense, bien sûr, mais son avenir lui appartient”.