Le goût

La mise en bouche
Que signifie exactement le mot « goût » ? Dans notre langue, ce mot recouvre plusieurs significations qu’il convient d’expliciter avant d’explorer le sens (sensation).
Dans le langage courant, c’est un de nos cinq sens, qui associe à la fois la saveur et l’odeur, mêlées à l’ensemble des perceptions trigéminales. « Ces perceptions sont multiples et variées, dotées des nuances les plus subtiles. Effectivement, derrière notre perception du goût, il se passe de nombreux phénomènes qui font intervenir d’abord des constituants chimiques de l’aliment : actuellement, on estime que la nature fournit environ 20 000 molécules odorantes qui peuvent être perçues par l’homme, qu’elles soient musquées, mentholées, camphrées, éthérées, piquantes, putrides…, et près de 5 000 pour les saveurs, qu’elles soient sucrées, salées, acides ou amères. » *
Dans le langage scientifique, c’est la seule perception des saveurs, soit la gustation.
Dans le sens hédonique, c’est la préférence pour quelque chose (goût pour…).
Pour notre part, nous allons nous intéresser à tout ce que l’on ressent lorsque l’on a un aliment en bouche.
La première perception nous vient des dents, des muscles de la mâchoire et de nos articulations. Nous apprécierons le croquant ou le moelleux en mordant, en écrasant entre la langue et le palais ou en suçant. La petite fraise mûre ne nous donne pas la même sensation si on la presse entre la langue et le palais ou si on la mâche avec les dents.
Rapidement, les récepteurs tactiles de la peau à l’intérieur de la bouche nous transmettent des informations sur la quantité de jus, la texture de l’aliment.
Parallèlement, arrivent pêle-mêle des sensations qui proviennent de récepteurs très distincts et que nous associons pour déterminer le « goût » de l’aliment. Les bourgeons du goût situés sur les papilles de la langue nous renseignent sur les saveurs (sucré, salé, acide, amer, umami). Ces perceptions concernent la gustation. Le nez, lui, par olfaction rétro-nasale (rétro-olfaction), perçoit les arômes.
Enfin les muqueuses buccales et nasales, via le nerf trijumeau, vont nous transmettre des sensations telles que le piquant, le brûlant, le rafraîchissant, le pétillant ou l’astringent.
*ETIÉVANT, Patrick. La chimie au service du goût, EDP Sciences, 2010, 242 p.

La gustation ou les saveurs
Pour désigner environ 5000 molécules sapides, nous ne possédons que 5 mots : sucré, salé, acide, amer et umami (qui désigne la saveur de la viande, du poisson, de la sauce soja ou du parmesan). C’est peu, il est souvent difficile de les caractériser par un seul mot. Comment parler de la saveur du pamplemousse qui se situe à l’intersection entre le sucré, l’acide et l’amer ou de la saveur du chocolat noir entre le sucré et l’amer ou encore de l’oseille entre l’acide et l’amer ? Et le réglisse ? Il n’est ni sucré, ni acide, ni salé ni amer.
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Comment fonctionne la perception des saveurs ?
Sur votre langue, vous apercevrez des petites aspérités : ce sont les papilles.
Sur ces papilles, des petits bourgeons du goût sont disposés : chacun regroupe un ensemble d’environ 100 cellules sensibles, appelées simplement cellules gustatives.
Ce sont sur les récepteurs de ces cellules que peuvent venir s’accrocher les différentes molécules entrant dans la bouche et dissoutes par la salive lorsque nous mangeons.
Les récepteurs peuvent reconnaître un large éventail de molécules, mais chacun montre une sensibilité accrue à une certaine catégorie (sucré, acide, etc).
Dès qu’une molécule est reconnue par la cellule gustative, celle-ci envoie un signal au cerveau par le biais de neurones sensitifs.
Le cerveau, en traitant toutes les informations envoyées par les cellules gustatives, peut ainsi recomposer l’information et percevoir des saveurs complexes !
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Tous les goûts ne sont pas perçus à la même intensité : il faut que les molécules soient présentes en une certaine quantité pour être détectées, et cette quantité est variable selon la catégorie. C’est ce que l’on appelle le seuil de perception.
La saveur qui est perçue le mieux, c’est-à-dire même en très faible quantité, est l’amer. C’est tout à fait compréhensible si l’on sait que beaucoup de poisons végétaux sont amers. Nos ancêtres avaient tout intérêt à se montrer vigilants face à cette saveur. La forte capacité de détection de l’amertume a sans doute aidé nos ancêtres à éviter les plantes toxiques.
Il est donc aujourd’hui exclu de parler de cartographie du goût : les papilles peuvent détecter les molécules différentes à chaque endroit de la langue. Néanmoins, la densité des papilles peut varier entre les différentes zones de la langue et de la bouche, et ce même entre individus. Nous ne sommes pas tous égaux face au goût !

Conseils pour la dégustation
Lorsque vous dégusterez les produits de votre Gustaterrium, l’amertume peut constituer un obstacle difficile à franchir pour certains dégustateurs. Son rejet est, semble-t-il, inné chez le nourrisson et son acceptation ne vient que par l’apprentissage et des expériences gustatives positives et répétées. Les enfants choisiront plus généralement des mets sucrés alors que les personnes âgées apprécieront plus facilement des mets amers.
Avec les explorations gustatives il est possible de détourner l’attention de la saveur en se concentrant sur d’autres sensations ou, au contraire, en essayant de classer par ordre de préférence différents types d’amertume : plutôt sucrée comme une carotte, acide comme l’oseille ou salée comme le céleri. Ensuite on peut essayer de fabriquer sa vinaigrette personnelle pour manger une chicorée (ou une autre salade amère), en ajoutant du citron, une pomme ou du sel.

La rétro-olfaction ou les arômes
Ces fameux arômes responsables en grande partie de notre perception du goût des aliments sont ressentis par le nez !
Les aliments dégagent des molécules odorantes, certaines seront perceptibles par l’olfaction avant même d’être ingérées mais la plus grande quantité est prisonnière des aliments et c’est la mastication, avec l’apport de salive, qui, en déchirant, brassant et fragmentant l’aliment, leur permet d’être perçues.
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Comment fonctionne la perception des arômes ?
Les molécules odorantes empruntent la voie rétro-nasale qui passe par l’arrière gorge et rejoint les cils olfactifs recouverts de mucus.
Elles traversent cette couche de mucus avant d’atteindre les récepteurs olfactifs des cellules sensorielles où ce signal chimique est transformé en signal électrique qui va rejoindre le cerveau.
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Pour approfondir
Le trajet des informations gustatives et olfactives dans le cerveau
Voici un extrait du Dossier Enseignant « A Table », Cap sciences, 2004 :
« Comme pour les nerfs gustatifs, les ramifications du nerf olfactif suivent des parcours différents. Le message sensoriel se dédouble au niveau du tronc cérébral pour emprunter deux voies qui conduisent simultanément :
vers le système limbique, sous le cortex cérébral, où les informations prennent une connotation émotionnelle. En suivant ce chemin, les messages passent dans l’hypothalamus, la zone cérébrale de plaisir inconscient puis dans l’hippocampe où l’information est mémorisée et comparée avec les souvenirs.
vers le thalamus où le message gustatif se conjugue avec les sensations de l’odorat et du toucher de la langue. C’est le centre conscient de l’analyse logique de l’olfaction et du goût qui traite l’intensité et la nature du message.
Il y a ainsi dans le cerveau la formation d’images mentales distinctes issues de différentes sources sensorielles. Les messages hédoniques de la mémoire confèrent à la perception gustative une coloration supplémentaire. L’ensemble des informations est finalement acheminé et traité au niveau des lobes frontaux du cortex où émergent la conscience de l’aliment reconnu et la sensation de plaisir procuré par la nourriture.
Chaque individu dispose d’une sensibilité gustative qui lui est propre et on s’interroge sur la perception subjective des saveurs et d’odeurs. Si les gènes interviennent dans notre sensibilité, il semble de plus en plus probable que le goût est en grande partie construit socialement par l’environnement et le mode de vie : plus on est soumis tôt et régulièrement à une saveur, plus il est facile de la détecter. »
(fin Pour approfondir)

Lorsque l’on est enrhumé cette couche de mucus s’épaissit et bloque la majorité des molécules odorantes, c’est la raison pour laquelle, la nourriture nous semble alors sans goût.
En vieillissant, l’acuité gustative et olfactive s’étiole avec un renouvellement cellulaire moins efficace. Il faut en mettre plus pour sentir et goûter. Une enquête menée en 1985 par le psychologue américain Richard Doty de l’université de Pennsylvanie, montre que les performances olfactives diminuent à partir de la soixantième année. Mais en réalité, c’est la capacité à comprendre les mots qui s’amenuise. D’une façon générale, la dégradation du système nerveux central est plus rapide que la dégradation périphérique des sens. Mais si le cerveau perd irrémédiablement des neurones tous les jours, l’apprentissage et l’entraînement des sens et de la mémoire peuvent compenser cette perte en multipliant les synapses, c’est-à-dire les liens entre les neurones.

Conseils pour la dégustation
L’interaction dans le cerveau entre les différents messages d’arômes et de saveurs peut modifier nos perceptions. Ainsi les fraises ont une délicieuse saveur acidulée (entre l’acide et le sucré). Or, lorsqu’on se bouche le nez (sans les arômes), la seule saveur détectable est l’acide. Ce sont donc les arômes sucrés (de miel ou de caramel) qui nous ont induits en erreur.
D’une manière générale, il est toujours intéressant, lors d’une dégustation, de se boucher le nez pour différencier plus précisément les arômes des saveurs.

Les sensations trigéminales
Ces sensations ne sont ni des arômes, ni des saveurs, elles naissent lorsqu’on déguste une glace, une feuille de menthe, un piment, un oignon, une boisson gazeuse ou encore des kakis trop verts.
Le goût rafraîchissant provient de la stimulation des récepteurs de basse température de la cavité buccale. Des molécules comme le menthol ou le sorbitol se solubilisent dans l’eau en prélevant de l’énergie à leur environnement. La réaction est dite endothermique. La cavité buccale perd un peu de chaleur et les récepteurs du froid en sont alertés. L’information est alors transmise au cerveau via le nerf trijumeau.
Le piment fort à l’inverse du menthol provoque une sensation de brûlure. Il contient un alcaloïde, la capsaïcine qui stimule les capteurs sensibles à la douleur sur la langue. La sensation de chaleur ne disparaît pas en buvant de l’eau car la capsaïne n’est pas soluble. Elle ne disparaît que lorsqu’elle est emportée par la mie de pain par exemple.
Lorsque « la moutarde vous monte au nez », les molécules responsables du piquant entrent en contact avec les récepteurs du nerf trijumeau au niveau de la bouche, du nez et des yeux.

L’astringence quant à elle, définit la propriété de certaines substances à resserrer les tissus, comme les tanins du vin ou le kaki encore vert. Ce sont alors les récepteurs tactiles qui sont sollicités.
Ce sont ces mêmes récepteurs qui permettent d’apprécier le craquant d’une biscotte ou l’élasticité d’un calmar. Ils sont également reliés au nerf trijumeau.
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Comment fonctionne la perception des sensations trigéminales ?
Le nerf trijumeau qui innerve les muqueuses de la bouche, du nez et de l’œil, transmet les sensations de température, de texture des aliments et de douleur. Ces informations
ne concernent donc pas les saveurs mais participent à l’élaboration du goût.
Grâce au nerf trijumeau nous percevons entre autre le glacial, le brûlant, le piquant, le pétillant et l’astringent.
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Une fois encore, nous n’avons pas tous la même sensibilité à ces phénomènes. Le piment ne provoque pas des hurlements de douleur chez tout le monde, même chez les enfants. À cela deux raisons : une raison physiologique car nous ne sommes pas construits pareil mais aussi une raison culturelle car une personne mise très tôt en contact avec des aliments piquants ou glacials s’accoutume à leurs effets et finit par ne quasiment plus les ressentir.

Conseils pour la dégustation
Lorsque le nerf trijumeau est activé, la réponse du cerveau est de bloquer certains récepteurs du goût. Pour en faire l’expérience, comparez le goût d’une pomme avant et après avoir sucé une feuille de menthe poivrée (la plus riche en menthol).

Le toucher en bouche
Lorsque l’on a un aliment en bouche, nous le croquons, mâchons, malaxons, pressons… toutes ces actions nous permettent d’envoyer une multitude d’informations au cerveau qui va les combiner aux informations de goût et enrichir l’image mentale de l’aliment de nouvelles caractéristiques. Ces informations sont aussi chargées de tout le contexte émotionnel lié à la sensation.

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Comment fonctionne la perception du toucher en bouche ?
Différents récepteurs situés sur la peau, les muscles, les articulations, les dents, analysent la force, la pression, les vibrations, la déformation et les propriétés de surface.
Ces mécanorécepteurs sont d’une précision très fine, et transmettent au cerveau des informations captées sur des stimuli de très faible intensité.
Les sensations d’ordre kinesthésiques nous renseignent sur la dureté d’une carotte, la tendreté de la viande, le moelleux d’un cake, le croquant d’une pomme, le craquant d’une biscotte, le croustillant, le caoutchouteux.
Les sensations thermiques nous renseignent sur le brûlant, chaud, frais, froid, glacial.
Les sensations de texture nous renseignent sur le velouté, doux, lisse, rugueux, râpeux, collant, gluant, moelleux, fibreux, filandreux, farineux, aqueux, juteux, sec, gélatineux, gras.
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Les différences inter-individuelles
La dimension de différences inter-individuelles est centrale dans l’analyse des ressentis.
Nous savons aujourd’hui qu’il existe des différences génétiques, notamment dans la perception de l’amertume. Les personnes très sensibles à cette saveur sont plus réticentes face aux aliments nouveaux, chez les enfants cela se traduit par une néophobie plus importante et plus durable.
Il existe des différences physiologiques qui modifient les perceptions, nous n’avons pas tous le même nombre de bourgeons du goût par exemple.
Parfois chez un même dégustateur, une modification due à la prise de médicaments, à des dents dévitalisées, à un état de fatigue ou à des conditions de prise alimentaire stressantes (une cantine bruyante, par exemple) vont diminuer la sensibilité.
Enfin, notre vécu, les habitudes et traditions familiales vont créer au fil du temps un répertoire de souvenirs auxquels le dégustateur va se référer à chaque dégustation. Ce répertoire va connoter chaque sensation d’une dimension émotionnelle qui va lui faire accepter ou rejeter l’aliment. Ce répertoire s’enrichit, au cours de la vie, de nouvelles expériences.
Le plaisir de découvrir de nouvelles choses sur soi-même et sur son rapport aux autres, le plaisir de se découvrir des compétences inexploitées, de se surprendre, sont autant de souvenirs positifs qui permettront d’ouvrir la curiosité gustative tout au long de la vie.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel de caractériser les sensations par des mots, des souvenirs personnels, des histoires personnelles ou universelles.

Conseils pour mener une dégustation
Il convient de tenir compte des différences inter-individuelles lors des dégustations et de ne pas porter de jugements.
Le répertoire de souvenirs auxquels le dégustateur va se référer à chaque dégustation s’enrichit, au cours de la vie, de nouvelles expériences, aussi il est très important que les activités menées avec le Gustaterrium se déroulent toujours dans une ambiance positive et agréable.
Il convient de laisser une place importante à la parole du dégustateur, de susciter la recherche de métaphores, supports d’émotions. Ne pas s’arrêter à des réponses de type « c’est bon », mais chercher à aller plus loin en proposant des phrases telles « ça me plaît parce que… ».
(fin Conseils pour mener une dégustation)

Nous l’avons vu toutes ces informations sensorielles se combinent pour créer une image mentale de l’aliment.
Le fait d’analyser séparément chacune de ces sensations peut permettre de dépasser une réticence première. « Certes, ce radis pique un peu mais quel délicieux arôme de noisette et quel plaisir de l’entendre croquer sous la dent « .
Un autre fait avéré est que, lorsque l’on prête une attention fine à ses sensations, le plaisir que l’on retire de la dégustation est multiplié comme si les mots que l’on échangeait magnifiaient les perceptions.
Comme le dit Jacques Puisais, une fois que l’on a acquis cette démarche d’introspection et de verbalisation, les découvertes liées aux aliments deviennent beaucoup plus riches et profitables (un peu comme si un enfant devait apprendre à bien maîtriser la lecture avant de recevoir un beau livre).